Photo_D_Joly_JPG_2.pngDr Dominique JOLY.
Maître de Conférence des Universités (Université Paris V), Praticien Hospitalier (Hôpital Necker, Paris)

Polykystose rénale autosomique dominante : un exemple de recherche translationnelle.
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Chaque rein contient environ 1 million de néphrons. Les néphrons sont des « unités fonctionnelles » qui assurent la filtration du sang et la formation de l’urine. Le sang est filtré à travers le glomérule ; le liquide filtré passe ensuite au sein des tubules, où sa composition est modifiée progressivement, pour aboutir à la formation de l’urine. L’urine élimine une quantité appropriée d’eau, de minéraux et de déchets.

Dans la polykystose rénale autosomique dominante, 1 à 10% des néphrons verront leurs tubules développer un ou plusieurs kystes. Ces kystes se développent aux dépens de la paroi tubulaire, qui n’est plus rectiligne. Au-delà d’une certaine taille, un kyste peut perdre sa connexion avec le tubule qui lui a donné naissance. La formation et la croissance des kystes se fait très lentement au cours de la vie. Les kystes sont responsables de l’augmentation du volume des reins au cours de la vie et sont responsables de multiples complications, dominées par la survenue d’une insuffisance rénale progressive.

Cette insuffisance rénale progressive ne sera peut être plus une fatalité dans les années à venir. Les recherches expérimentales conduites sur des cellules puis sur des animaux ont permis d’entrevoir certains mécanismes de formation des kystes et d’imaginer différents traitements. Ces traitements font aujourd’hui l’objet de plusieurs essais cliniques chez l’homme, dont les résultats sont attendus avec impatience, en espérant qu’ils seront positifs. Mais d’ores et déjà, cette trajectoire « cellule, animaux, hommes » fait de la PKRAD un des meilleurs exemples de recherche translationnelle.

1. Les théories sur la formation des kystes

Les cellules qui tapissent les kystes sont particulières, car elles sont porteuses de mutations de leur code génétique : mutation du gène PKD1, ou mutation du gène PKD2. Ces mutations génétiques sont transmissibles à la descendance, elles expliquent le caractère familial de cette affection.

Une structure particulière, le cil primaire

Les gènes PKD1 et PKD2 permettent à la cellule de fabriquer deux protéines, la polycystine 1 et la polycystine 2 respectivement. Les polycystines 1 et 2 sont normalement localisées de façon préférentielle à un endroit très particulier des cellules tubulaires : le cil primaire. Le cil primaire est d’une sorte d’excroissance de la membrane de la cellule, qui ressemble à un poil, et qui se trouve au contact de l’urine. Chaque cellule possède un cil primaire. Les polycystines 1 et 2 sont présentes à la surface de cette structure. Quel est leur rôle à ce niveau ? Plusieurs études expérimentales suggèrent que leur fonction serait de transformer un signal « mécanique » (le mouvement de l’urine qui s’écoule le long du tubule) en un signal « biochimique » (un afflux de calcium) qui sera transmis vers le noyau de la cellule.

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Une première hypothèse : un stop signal défectueux

La première hypothèse avancée pour expliquer la formation des kystes était appelée théorie du « stop-signal » :
– en situation normale, l’urine s’écoule, le cil primaire transmet via les polycystines, un courant calcique au noyau de la cellule ; la cellule, « rassurée » par ce signal calcique, reste calme ou « quiescente ».
– en cas de polykystose rénale dominante, les polycystines « mutées » (soit absentes, soit malformées) ne jouent plus leur rôle : le noyau de la cellule tubulaire privé du signal calcique normal, réagit et la cellule se transforme : moins bien différenciée, elle perd sa plasticité et tend à se multiplier davantage et à former des kystes.

Une hypothèse plus récente : une polarité planaire désorganisée

Plus récemment, l’hypothèse de la « polarité planaire » a été avancée :
• durant le développement du rein normal, l’orientation du cil primaire, qui est recourbé dans le sens de l’écoulement de l’urine, pourrait indiquer aux cellules l’axe unique selon lequel elles doivent se diviser : le long de l’axe du tubule rénal, ce qui lui permet de s’allonger harmonieusement
• en cas de polykystose, un défaut d’inclinaison du cil primaire (du fait de mutation des polycystines), pourrait « tromper » les cellules et leur ordonner de se diviser selon des axes multiples et différents, aboutissant à la formation du kyste.

        2. Le développement des nouveaux traitements de la polykystose

Une cible de traitement directe : la « thérapie ciliaire » ?

Les deux théories exposées ci-dessus mettent en avant le rôle du cil primaire. Il est tentant de penser que que dans un avenir plus ou moins lointain, la thérapie génique permettra de rétablir à la surface des cils primaires une « activité polycystine » suffisante. Cette piste de recherche, simple et « directe » est pour l’instant très futuriste si bien que la majorité des équipes de recherche ont privilégié la recherche de cibles « indirectes ».

Les cibles de traitement « indirectes »

On sait par exemple que, du fait du dysfonctionnement des polycystines, les cellules tubulaires ont tendance à se diviser et se multiplier : elles « prolifèrent » largement plus que les cellules tubulaires normales. Cette prolifération fait appel à une machinerie complexe à l’intérieur de la cellule, qui est une cascade d’interactions entre protéines, que l’on appelle « voie de signalisation ». Plusieurs équipes de recherche ont montré que certaines voies de signalisation étaient très fortement exprimées au sein des cellules formant la paroi des kystes.

Chez l’animal
Il a ensuite été montré chez des animaux (rats, souris) souffrant de polykystose rénale que les traitements qui bloquaient ces voies de signalisation permettaient de limiter la prolifération des cellules et d’empêcher la formation des kystes.

Chez l’homme
Ces résultats très encourageants ont permis il y a peu de temps de débuter des essais chez l’homme.
Après les expérimentations de phase I et de phase II, des essais de phase III sont actuellement en cours. La phase III du développement d’un nouveau médicament a pour but de démontrer qu’il est plus efficace qu’un placebo (produit qui ressemble au médicament mais n’en a pas les effets biologiques). La comparaison se fait en « double aveugle » : ni le patient ni le médecin ne savent si le médicament ou le placebo est utilisé (cela est déterminé par un tirage au sort anonymisé et informatisé au début de l’étude).
Que compare-t-on ? Dans la polykystose, on mesure principalement l’évolution du volume rénal et l’évolution de la fonction rénale tout au long de l’essai thérapeutique. Les essais seront à terme déclarés positifs si les médicaments réduisent ou bloquent la croissance des kystes (et donc du volume rénal) et stabilisent la fonction rénale. Nous allons détailler à présent deux exemples concrets.

Les inhibiteurs de mTOR1
mTOR est une protéine intra-cellulaire, d’importance majeure : lorsqu’elle est activée, elle favorise la croissance des cellules et leur division. L’activité de mTOR est normalement finement contrôlée par l’organisme.
Lorsque les polycystines (et/ou l’activité du cil primaire) fonctionnent normalement, les cellules des tubes rénaux n’ont pas d’activité mTOR décelable.
Dans la polykystose rénale, au contraire, mTOR est fortement exprimée par les mêmes cellules. Cette constatation a donné l’idée de tester les inhibiteurs de mTOR, tels que l’everolimus et le sirolimus. Chez l’animal atteint de polykystose, les inhibiteurs de mTOR sont capables de freiner la croissance des kystes et d’empêcher la survenue d’une insuffisance rénale. Chez l’homme, plusieurs essais de phase III sont en cours : everolimus versus placebo ou sirolimus versus placebo.

Les inhibiteurs de l’AMP cyclique
Plusieurs équipes ont remarqué qu’au cours de la polykystose, les cellules tubulaires rénales accumulent une quantité excessive d’une protéine intracellulaire bien connue : l’ « AMP cyclique ». Peut-on, en réduisant la concentration cellulaire d’AMPc, traiter la polykystose ?
Pour diminuer dans la polykystose le contenu en AMP cyclique au sein des cellules tubulaires rénales, on peut agir de en stimulant par des hormones les surface des cellules, avec deux options différentes :

  • soit en stimulant les récepteurs à la somatostatine,
  • soit en bloquant les récepteurs V2 à la vasopressine.

Dans un cas comme dans l’autre, l’information transmise par l’action sur le récepteur est une diminution de la quantité d’AMP cyclique à l’intérieur de la cellule. Des analogues de la stomatostatine et des antagonistes de la vasopressine ont été utilisés avec succès dans les modèles expérimentaux de polykystose rénale. Précisons que les récepteurs V2 à la vasopressine ne sont exprimés que par les cellules rénales (le produit qui les bloque, le tolvaptan, ne devrait donc être efficace que sur les kystes rénaux), tandis que le récepteur à la somatostatine est exprimé par les cellules rénales, mais aussi par les cellules du foie (leur stimulation par octréotide ou lanréotide pourrait être efficace aussi bien pour les kystes rénaux que pour les kystes hépatiques, fréquents dans la PKRAD). Plusieurs essais de phase III sont actuellement en cours dans la polykystose rénale humaine avec des anti-V2 recepteurs (tolvaptan versus placebo), ou des analogues de la somatostatine (octréotide ou lanréotide versus placebo).

     3. Perspectives

Les essais cliniques humains actuellement en cours dans la PKRAD sont porteurs d’espoirs. L’existence et l’état d’avancement de ces essais thérapeutiques sont indiqués sur le web de la Fondation Américaine (http://clinicaltrials.gov/ct2/results?term=ADPKD). Comme il est de règle, un nombre prédéfini et limité de patients et de centres participe aux essais cliniques.
Que faire si les premiers résultats (attendus à partir de 2010 pour certains d’entre eux), sont positifs ? La tentation sera grande de proposer un traitement aux patients ayant une atteinte rénale débutante, mais les indications précises (« Qui traiter, et quand débuter le traitement ? ») devront être affinées par de nouvelles études cliniques.
Malgré ces espoirs, les équipes de recherche fondamentale, centrées sur les mécanismes cellulaires et les modèles animaux de PKRAD, n’ont pas relachées leurs efforts. Ceci permettra de développer, d’ici quelques années, d’autres médicaments utilisables dans la PKRAD : la recherche translationnelle se poursuit !