Les gènes de la Polykystose rénale autosomique dominante

Article rédigé par le docteur Stéphane Burtey

La polykystose rénale autosomique dominante (PKD) est la plus fréquente des maladies génétiques rénales, elle est responsable de 8% des cas d’insuffisance rénale chronique en France. Elle touche une personne sur 1000. Son mode de transmission est autosomique dominant, un patient atteint à une chance sur deux de transmettre le gène muté à sa descendance. Deux gènes sont mutés dans cette affection, PKD1 ou PKD2. Il est possible qu’un troisième gène soit impliqué.

L’identification des gènes responsables de la polykystose rénale autosomique dominante a permis de mieux comprendre la physiopathologie de cette affection et de proposer un diagnostic moléculaire.

Historique

La polykysose rénale a été identifiée en tant qu’entité clinique en 1888 par Lejars dans sa thèse de médecine. Cet auteur français a introduit le terme de rein polykystique, il avait dès cette époque caractérisé l’aspect du rein polykystique, gros et déformé par des kystes multiples. C’est 11 ans plus tard, en 1899, qu’un auteur allemand (Steiner) va identifier son caractère héréditaire. Il faudra attendre plus d’une centaine d’année avant d’identifier les gènes responsable de cette affection.

Aspect clinique

La polykystose rénale autosomique dominante est une maladie systémique. Les kystes peuvent se développer dans le rein, mais aussi le foie, le pancréas et les méninges. Les manifestations rénales sont secondaires au développement des kystes dans le parenchyme rénal. Ils vont le désorganiser puis le détruire progressivement conduisant à l’insuffisance rénale chronique terminale. L’âge médian de mise en dialyse dépend du siège de la mutation dans le gène PKD1 (âge médian de 54 ans) ou dans le gène PKD2 (âge moyen de 74 ans). En dehors de la vitesse d’apparition des kystes, il n’y a pas de différence d’expression phénotypique entre les formes liées à une mutation dans PKD1 ou PKD2.
La polykystose rénale autosomique dominante peut être associée à des anomalies cardiovasculaires (anomalies de la valve mitrale et anévrismes des artères cérébrales) du tube digestif (diverticulose colique) et du poumon (bronchectasies)
Une des caractéristiques de la PKD est sa variabilité d’expression clinique d’une famille à l’autre et à l’intérieur d’une même famille. La découverte des gènes impliqués a permis de mieux comprendre les variations dans la sévérité de la maladie rénale.

Les gènes de la polykystose rénale autosomique dominante

L’étude de la polykystose rénale autosomique dominante a permis l’identification d’une nouvelle famille de gènes codant pour des protéines dont les fonctions ne sont pas encore complètement élucidées. Le tableau 1 présente les différents membres de la famille des polycystines avec leurs différentes caractéristiques génomiques. Cette famille de gènes est conservée dans l’évolution. Les protéines sont toutes membranaires et ont des structures proches de PKD1 ou PKD2. Les membres de la famille de la polycystine 2 sont des canaux cationiques et les membres de la famille polycystine 1 ont tous un domaine PLAT et 11 domaines transmembranaires. Ces gènes ne sont pas tous associés à des pathologies. Nous présenterons en détail les gènes PKD1 et PKD2.

Tableau 1: Les Polycystines

Localisation  Taille exons  mRNA Protéine OMIM
PKD1 16p13.3 52 Kb 46 14136pb 4302 AA 601313
PKD1L1 7p12.3 183 Kb 58 8618 pb 2849 AA
PKD1L2 16q23.2 115 Kb 43 7377 pb 2459 AA 607894
PKD1L3 16q22.2 70 Kb 30 5196 pb 1732 AA 607895
PKDREJ 22q13 7,6 Kb 1 7660 pb 2253 AA 604670
PKD2 4q21-23 70 Kb 15 5073 pb 968 AA 173910
PKD2L1 10q24-25 42 Kb 16 3060 pb 805 AA 604532
PKD2L2 5q31 53 Kb  14 2205 pb 624 AA 604669

PKD1
PKD1 est situé sur le bras court du chromosome 16 (Figure 1). Il est proche de TSC2, un des gènes responsable de la sclérose tubéreuse de Bourneville. Les extrémités des deux gènes sont séparées par une soixantaine de paires de base. Ils sont queue à queue. Il y a conservation de la synténie (ordre des génes) chez l’homme, la souris, le chien et le fugu. Le locus PKD1 a été localisé en 1990.

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Le clonage du gène a été compliqué par la structure complexe du bras court du chromosome 16. Il a été rendu possible grâce à la découverte d’une famille portant une translocation « cassant » le gène PKD1 en 1994 et complété en 1995 par trois groupes utilisant des stratégies différentes. PKD1 est un gène de 52 Kb. Il compte 46 exons. Son ARNm a une taille d’environ 14 Kb, le cadre de lecture ouvert est de 12906 pb. La protéine, la polycystine-1 compte 4302 aminoacides. Cette protéine est une protéine membranaire avec de nombreux domaines fonctionnels. Elle joue un rôle dans la fonction du cil primaire, dans le contrôle de la prolifération cellulaire et dans celui de la polarité planaire et baso-apicale.

Sa structure génomique a des caractéristiques remarquables.
PKD1 contient des extensions de polypyrimidines (R-Y) l’une dans l’intron 22 et l’autre dans l’intron 21. Ces extensions de polypyrimidines sont responsables de l’apparition de mutations. Il a été montré pour certaines délétions de PKD1 le rôle de ces structures génomiques.
En 16p13.1, la présence d’homologues partiels de PKD1 a rendu l’identification de PKD1 difficile. Ils reprennent la séquence génomique de PKD1 de l’exon 1 à 33. il existe six homologues de PKD1 appelé PKD1P1 (PKD1P1), PKD1P2 (PKD1P2), PKD1P3 (PKD1P3), PKD1P4 (PKD1P4), PKD1P5 (PKD1P5) et PKD1P6 (PKD1P6). L’homologie nucléotidique avec PKD1 est supérieure à 95%. Ces 6 homologues sont transcrits. Il semble qu’ils ne soient pas traduits en des protéines. Il s’agit de pseudogènes.

Leur présence reste une obstacle pour l’identification des mutations dans la région dupliquée de PKD1. La région dupliquée porte plus de 70% de l’information génétique de PKD1. Les fonctions de ces homologues de PKD1 sont inconnues. Les homologues partiels de PKD1 n’existent pas dans le génome murin ni dans le génome canin. Le séquençage du chromosome 16 a confirmé l’organisation particulière du bras court du 16 et la présence de nombreux pseudogènes.
PKD1 a été identifié chez de nombreux animaux de C. Elegans à l’homme en passant par le chat et la souris. La structure de PKD1 est conservée chez ces animaux. Il n’a pas été identifié d’homologue chez la drosophile, ni chez la levure.
PKD1 a une expression ubiquitaire. Il est transcrit dans de nombreux tissus qui ne sont pas pathologiques chez les polykystiques. Il existe une régulation développementale de son expression. L’expression dans le rein est maximum pendant la vie foetale et diminue à l’âge adulte.

PKD2
Il a été découvert trois ans après sa localisation sur le bras long du chromosome 4 (4q21-23). Il a été cloné peu après PKD1. L’identification de PKD2 a été beaucoup plus facile que celle de PKD1. C’est un gène de 68 Kb. Il compte 15 exons. Le transcrit a une taille de 5,4 Kb. Il est traduit en une protéine (Polycystine-2) de 968 acides aminés qui est un canal de la famille TRP (canal cationique à spécificité calcique). La structure génomique de PKD2 est contrairement à celle de PKD1 sans particularité. PKD2 présente un long 3’UTR de plus de 2000 pb avec certaines régions conservées dans l’évolution. Son expression est ubiquitaire. Elle est plus importante dans le rein, l’ovaire, le testicule et l’intestin. PC-2 est localisée comme PC-1 dans le cil primaire et joue un rôle important dans le contrôle du niveau de calcium intracellulaire. Les orthologues de PKD2 ont été identifiés chez tous les animaux de la drosophile à l’homme. Il y a une conservation importante de la structure de PKD2 dans l’évolution.

Identification des mutations dans PKD1 et PKD2

L’identification des mutations du gène PKD1 est difficile en raison de sa structure génomique particulière (taille, homologues partiels).Il n’y a pas de mutations publiques. Chaque famille ou presque a sa mutation. La mise au point de techniques de screening efficace de la région 5′ permet de proposer un diagnostic moléculaire de routine (Athéna). L’interprétation des mutations observées est un point critique. Les mutations responsables de l’apparition d’un codon stop prématuré sont faciles à analyser. Par contre l’analyse des mutations faux sens est compliquée. PKD1 est un gène avec de nombreux Single Nucléotide Polymorphisms en son sein, parfois limité à une famille. Ces polymorphismes sont parfois codants. L’analyse des faux sens doit être prudente du fait de l’absence de tests fonctionnels. Si il n’y a pas été identifié de mutations par séquençage, il faut rechercher des mutations d’épissage, la meilleur stratégie est la réalisation de RT-PCR à la recherche de la présence d’épissages anormaux, dernière étapes est la recherche de délétions par southern-blot ou par Luminex.

Les mutations dans PKD2 sont beaucoup plus faciles à identifier et à interpréter, la majorité des mutations sont responsables de l’apparition d’un codon stop prématuré tronquant la protéine. La stratégie la plus rationnelle pour identifier une mutation responsable d’une PKD est de débuter par l’analyse du gène PKD2 puis celle de PKD1. Actuellement il est possible d’identifier 85 à 90% des mutations responsable de la polykystose rénale autosomique dominante.

La variabilité interfamiliale est liée en partie au siège de la mutation dans PKD1 ou PKD2. Le siège de la mutation dans PKD1 a aussi un impact sur la date de survenue de l’insuffisance rénale chronique terminale.

Un modèle pour comprendre la variabilité d’expression phénotypique
L’apparition du kyste rénal à partir d’un néphron n’est pas un phénomène obligatoire chez les patients porteurs d’une polykystose rénale autosomique dominante. Seulement 2 à 3% des néphrons donneront naissance à des kystes. L’apparition des kystes est un phénomène stochastique.

Comment une cellule tubulaire rénale se transforme en cellule kystique? La mutation dans une seule copie du gène PKD1 ou PKD2 ne suffit pas. La théorie proposée et confirmée expérimentalement est celle du modèle en deux coup. La polykystose rénale autosomique dominante est une pathologie récessive à l’échelon moléculaire. Pour que la cellule se transforme il faut que le deuxième allèle de PKD1 ou de PKD2 soit muté. La cellule pour donner naissance à un kyste doit posséder une mutation germinale (transmission héréditaire) et une mutation somatique (acquise durant la vie).

Récemment, il a été montré qu’il existe un autre type de deuxième coup. La diminution d’expression de PKD2 secondaire à la présence d’une cytokine inflammatoire, le TNF alpha. Elle accélère l’apparition des kystes rénaux. Pour que la cellule kystique exprime pleinement son potentiel de formation d’un kyste, il faut qu’elle prolifère. Il faut un troisième coup (l’accélérateur). La perte ou la diminution de l’expression des polycystines serait l’équivalent de la perte du frein dans une voiture. Si vous n’avez pas de frein à l’arrêt, ce n’est pas très grave, par contre quand vous accélérez (le signal prolifératif), il faut pour s’arrêter des freins, les polycystines.

Les polycystines sont importantes pour que les cellules tubulaires rénales proliférant (après une agression) forment un tubule et non un kyste.

Conclusion

L’identification des gènes de la polykystose rénale autosomique dominante à permis de découvrir une nouvelle famille de protéines importantes dans la physiologie des cellules épithéliales. Il est possible de proposer un diagnostic moléculaire de certitude avant l’apparition des kystes. Le siège de la mutation dans PKD1 ou PKD2 a un impact sur la survie rénale. Enfin la découverte de ces gènes permet de proposer un modèle d’initiation de la formation des kystes éclairant la variabilité d’expression de la maladie. La génétique de la polykystose rénale autosomique dominante n’a pas fini de nous étonner et de nous apporter des informations pour mieux comprendre et prendre en charge les patients porteurs de cette maladie fréquente.